mai 04, 2025
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Les crises de subsistances dans les villages soninké du cercle de Bakel, de 1858 à 1945. Problèmes méthodologiques et perspectives de recherches

TUDES ET ESSAIS

Monique Chastanet

Les crises de subsistances dans les villages soninke du cercle de Bakel de 1858 1945

Problèmes méthodologiques et perspectives de recherches

L’histoire économique et sociale reste encore le parent pauvre de la recherche au Sénégal, et étude du monde rural été particulièrement négligée présent:  mis à part les nombreux travaux sur le bassin arachidier, on sait peu de choses des autres régions restées écart de agriculture de rente. On connaît mal les modalités et les étapes de leur intégration espace économique colonial, les transformations  qu’elles ont subies dans leur vie matérielle et leur organisation sociale. C’est dans cette perspective que s’inscrivent mes recherches sur l’histoire économique et sociale des villages soninké de la région de Bakel durant la période coloniale. Elles s’organisent autour un thème central, celui des crises de subsistances. Pourquoi avoir privilégié ce thème?

  L’actualité de ce problème et sa gravité pourraient seules justifier  l’intérêt d’une réflexion historique. La crise qu’ont récemment traversée les pays sahéliens a suscité la parution de nombreuses études sociologiques et géographiques. Bon nombre de ces études reposent sur certains a priori, tels que l’assimilation des famines à des “catastrophes naturelles” ou la référence à une harmonie homme-milieu à l’époque précoloniale… Ce sont là des partis pris idéologiques qui témoignent plus des enjeux de “l’aide alimentaire” que d’une analyse rigoureuse d’un phénomène extrêmement complexe,  d’autant plus difficile à cerner que les sources ne sont pas toujours faciles à réunir  ni à traiter. Quelques études historiques ont été entreprises jusqu’à présent dans ce domaine. Il serait souhaitable elles se multiplient, car l’analyse des famines précoloniales et coloniales pourrait contribuer à  remettre en cause certains schémas simplificateurs et apporter un nouvel éclairage à l’histoire économique et sociale de Afrique.

   D’un point de vue socio-économique et historiographique, en effet, le problème vivrier constitue un angle d’approche particulièrement intéressant pour l’étude d’une société paysanne. L’ acuité et la récurrence des crises de subsistances dans le milieu soudano-sahélien obligent les populations à intégrer le risque de pénurie dans l’ organisation de la production agricole et dans la gestion des ressources vivrières. Mais cette adaptation du système de production ne suffit pas à éviter la crise lorsque la pénurie dépasse un certain seuil. Pour assurer sa survie, la société doit alors recourir à d’autres solutions socio-économiques. A travers l’étude de ces stratégies et du fonctionnement d’une société en temps de crise, il est possible de saisir les clivages sociaux, les points de rupture et les transformations en cours, en d’autres termes les contradictions et le dynamisme d’une société. L’analyse de ces crises pourrait ainsi fournir des jalons et des repères pour une histoire économique et sociale, c’est-à-dire des critères de périodisation internes.

    Mais étude des crises de subsistances, devenue un “classique” de l’histoire économique et sociale de l’Europe à l’époque moderne, pose un certain nombre de problèmes dans son application à l’histoire africaine:  problèmes de sources et problèmes de méthode. Si l’historien de l’Afrique gagne en témoignages et en “épaisseur sociologique” –  pour la période contemporaine du moins  – ,il perd généralement en données statistiques, démographiques et économiques. Il lui appartient donc d’élaborer une autre démarche pour repérer et analyser les crises de subsistances: c’ est de cette tentative que cet article va rendre compten après une présentation succincte de la région de Bakel à l’époque coloniale.

La région du Goy

I. De l’État du Gajaaga au cercle de Bakel

La région du Goy étend sur la rive gauche du Sénégal, de la Falémé au marigot Njorlu qui marque sa frontière avec le Fuuta Tooro, sur une soixantaine de kilomètres le long du neuve et sur dix à quinze  kilomètres vers l’intérieur. C’était une province de Etat soninké du Gajaaga avant la conquête coloniale, Etat qui, au xix siècle, se prolonge jusqu’à Kayes, sur la rive gauche du Sénégal, avec la province du Kammera.

LES CRISES DE SUBSISTANCES DANS LE CERCLE DE BAKEL

Cette région, anciennement reliée aux réseaux marchands transsahariens, fut intégrée à la traite européenne dès la fin du XVII siècle. Elle jouissait en effet une position clé à la croisée des voies commerciales du Soudan et de Atlantique. Jusqu’à l’abandon des postes français du haut Sénégal à la Grande-Bretagne en 1759,  le Gajaaga fut pour la France le principal lieu d’approvisionnement en esclaves en Sénégambie. Après le retour de la France dans la vallée du Sénégal, consécutif au traité de Paris de 1814, le poste fortifié de Bakel, créé en 1818, devint la base de son trafic avec le Soudan, commerce “légitime” qui excluait pas la poursuite clandestine de la traite des esclaves. Les familles maraboutiques participèrent activement en se faisant les intermédiaires entre les Européens et les marchés de intérieur, et renforcèrent par là leur influence dans la société. Les familles dirigeantes, guerrières et animistes, y prirent part comme courtiers, interprètes, ou en vendant elles-mêmes les esclaves qu’elles avaient razziés. Elles essayèrent surtout de bénéficier des “coutumes” versées par les Français aux chefs politiques. Ces intérêts nouveaux attisèrent leurs rivalités pour le pouvoir, provoquèrent de nombreux conflits au XVIII siècle, et aboutirent à  une crise des institutions politiques dans la première moitié du xix siècle. C’est pourquoi cette région été pronfondément perturbée dans sa vie économique et socio-politique avant même la conquête territoriale du milieu du xix siècle.

CARTE I. Le Gajaaga et les régions voisines au milieu du XIXe siècle

MONIQUE CHASTANET

   La conquête s’effectua en deux étapes, en 1855-58 et en 1887. La lutte contre le jihad El Haj Umar, auquel certaines familles du Gajaaga avaient participé, fut l’occasion pour Faidherbe de mettre en oeuvre sa politique expansionniste dans le haut fleuve. La France annexa Bakel en 1855 et le Goy supérieur en 1858, c’est-à-dire les villages situés entre Bakel et la Falémé; les populations furent soumises au paiement d’un impôt et aux réquisitions de main-d’oeuvre. Le pouvoir du chef du pays, le tunka de Tuabu, était donc limité au Goy inférieur et battu en brèche par interdiction de percevoir des taxes sur le commerce et par le contrôle qu’exerçait de facto le commandant de Bakel sur le Goy indépendant. Quant au Kammera, il fut placé dans la zone influence de l’empire toucouleur en vertu du traité signé entre El Haj Umar et les Français en 1860. La résistance de la population du Goy contre la domination française culmina lors du ralliement massif des Soninké au jihad de Mamadu Lamine Dramé en 1886-87. Sa répression se solda par établissement un protectorat sur le Goy inférieur et par la domination française sur tous les états du haut fleuve. Si l’année 1887 marque donc le début du contrôle effectif de ensemble du Goy, avec la mise en place des structures administratives coloniales dans les deux provinces, c’est dès 1858 que cette région perdit son autonomie politique et elle fut profondément perturbée dans sa vie économique et sociale. Le déséquilibre vivrier qu’elle subit dans la seconde moitié du xix siècle renvoie, entre autres facteurs, aux ventes forcées de mil pour le paiement de impôt et aux réquisitions de main-doeuvre qui grèvent lourdement les travaux agricoles. C’est pourquoi j’ai choisi la date de 1858 comme point de départ de cette étude de la période coloniale.

  Après les troubles des années 1850, l’escale de Bakel connu un regain d’activité dans les années 1860 et 1870 comme principal centre militaire et commercial, avec notamment l’installation de maisons de commerce. Maurel et Prom, Buhan et Teissère, Deves et Chaumette.  Mais les années 1880 marquent le début de son déclin, économique et politique, au profit de l’escale de Médine puis de Kayes, qui devient le siège du commandement supérieur du Haut-Sénégal le septembre 1880. Ce mouvement ira en accentuant avec la construction du chemin de fer Dakar-Niger, commencée en 1881 et achevée en 1923, et avec le développement de la zone arachidière du Sénégal. Le déclin de Bakel se traduit dans les multiples remaniements administratifs de la fin du xix et du début du xx siècle, qui rattachèrent la région du Goy tantôt au Sénégal et tantôt au Soudan de 1880 à 1895) et dans les vicissitudes ultérieures du cercle de Bakel. Ainsi le décret de 1904 limite le cercle de Bakel au Goy et au Boundou et l’ampute de la rive droite mauritanienne et de la haute Gambie. En 1939, le cercle de Bakel disparaît de la carte, les deux Goy et l’escale constituant une subdivision du cercle de Matam. Bathily.  Malgré toutes ces modifications, la circonscription du Goy demeure relativement inchangée tout au long de la période coloniale: elle est divisée en deux cantons, le Goy supérieur et le Goy inférieur, qui comprennent, outre les villages riverains du fleuve, des villages situés la limite du Boundou. Ce sont pour la plupart anciens hameaux de culture soninké, devenus villages permanents au début du xx siècle en tant que “villages de liberté”.

2 -Organisation du système de production

a/ les grandes lignes des changements socio-économiques

L’agriculture est la principale activité productrice avec, comme appoint, l’élevage, la pêche, la chasse et la cueillette, Avant la colonisation, certaines catégories sociales ne cultivaient pas elles-mêmes: les familles dirigeantes et les familles maraboutiques s’adonnaient les unes à la guerre et à  la vie politique, les autres  à la religion et au commerce. Elles tiraient leur subsistance du travail de leurs captifs et des différentes taxes et redevances qu’elles prélevaient sur les autres familles libres. Cette aristocratie a été progressivement amenée  à pratiquer l’agriculture, à cause de la lutte de administration coloniale contre l’esclavage dès la fin du xix siècle, et de la disparition de certaines sources de revenus comme la guerre ou les taxes sur le commerce. La production artisanale, dévolue à  des spécialistes castés pour le travail du bois, du cuir et des métaux, et à  des captifs pour le tissage, régresse fortement au xx siècle face à la concurrence des produits importés et à la réduction de la main-d’oeuvre servile.

  A la veille de la conquête coloniale, le commerce occupe une place importante dans cette société: échanges locaux de produits vivriers( mil lait bétail… ) avec les régions voisines du Bundu du Damga et du Gidimaxa et commerce à longue distance, relié au réseau transsaharien et à la traite atlantique, auquel participent agriculteurs et commerçants. Les premiers organisent des expéditions vers le Soudan durant la saison sèche. Tout homme libre peut s’y joindre, ainsi que les esclaves travaillant pour leur maître ou pour leur propre compte, selon leur statut. Toutefois. la famille dirigeante et ses alliés, tunkalemmu et mangu, n’y participent pas, le commerce étant jugé indigne de leur rang. Les jula professionnels sont issus de familles maraboutiques (moodini), parfaitement intégrées dans la société soninké. Leur activité se déploie sur une aire beaucoup plus vaste que celle des commerçants occasionnels, et repose sur tout un réseau de relations affaires, souvent fondées sur des liens familiaux et religieux. On oppose généralement échange immédiat que pratiquent les premiers, ou l’acquisition de biens pour leur valeur d’usage, au négoce qu’effectuent les seconds, ou la transaction de biens pour leur valeur d’échange. D’après les sources écrites, les familles maraboutiques sont les principaux partenaires du commerce atlantique. Sans remettre en cause leur prépondérance ni la distinction entre les différents types échanges, on peut se demander néanmoins s’il  y avait une réelle solution de continuité entre les activités des commerçants occasionnels et celles des professionnels, l’utilisation d’un même réseau par les uns et par les autres facilitant sans doute le passage éventuel du premier groupe au second.

  A la fin du xix siècle et au xx siècle, on assiste un élargissement progressif du commerce aux différentes catégories sociales,  y compris aux anciennes familles dirigeantes. Cette extension sociale est liée au développement de l’émigration, qui a sans doute joué un rôle dans cette remise en cause des clivages socio-économiques statutaires. Cest la navigation sur le Sénégal durant la période de la traite, et la culture des arachides en Gambie dans les années 1840 qui ont amorcé le mouvement migratoire. Mais c’est avec le déclin de la région de Bakel  à la fin du xix siècle, dû à la mise à l’écart du fleuve et au développement de l’ouest du Sénégal, que se dessine un fort courant d’émigration – de navigateurs, de manœuvres, de navétanes et de commerçants –  vers les villes de la côte, la zone arachidière et, au tournant du xx siècle, vers le Congo et le Gabon. Dans les années 1910 d’autres courants s’organisent vers la Côte Ivoire, et durant la Première guerre mondiale vers la France, dans le cadre de la marine de guerre. Cette région a donc été intégrée très tôt dans espace économique colonial  – sénégalais, africain puis métropolitain –  alors même que administration française ne contrôlait pas encore ensemble du territoire du Sénégal. Cependant la production agricole demeure, dans la première moitié du xx siècle, la principale source de subsistance et la base de l’organisation économique et sociale. Elle occupe encore la majeure partie de la population jusqu’ à l’émigration massive des années 1960 qui marque une nouvelle étape dans la mise en dépendance de cette région.

b/production agricole et consommation.

La région du Goy est située dans la zone climatique soudano-sahélienne et reçoit en moyenne 600 700 mm eau par an, répartis sur quatre à cinq mois, de fin juin à octobre. La crue du fleuve permet de pratiquer des cultures de contre-saison après le retrait des eaux, leur importance variant selon la superficie inondée et le rythme de la décrue. Mais à cause de l’encaissement de la vallée, ces terroirs sont bien moins étendus au Fuuta Tooro. Les agriculteurs exploitent donc en hiver nage des terres de jeeri et de foonde( levées de terre en bordure du lit mineur), et en saison sèche des terres de waalo: les falo( berges du fleuve) et les kollanga.

   Le chef du pays(Tunka) est considéré comme le maître de la terre et perçoit à ce titre des taxes sur les récoltes et sur certains terroirs. En sont dispensées les différentes branches de la famille dirigeante, certaines familles maraboutiques( Dramé Tanjigora…) et les familles de mangu. Au niveau de chaque village, les terres sont contrôlées par la famille du maître de la terre, qui est parfois aussi celle du chef de village(les nyaxamalani et les captifs sont exclus de ces charges, à l’exception de certaines catégories entre eux). Les terres de jeeri sont généralement accès libre, mais les foonde et les terres de décrue sont détenus par la ou les familles les plus influentes du village. Ces terres peuvent être concédées temporairement à ceux qui n’en ont pas la jouissance contre le paiement d’une redevance. Cette région se caractérise donc par l’inégal accès aux terres les plus riches: elles occupent une place restreinte dans le terroir agricole, mais leur production représente un appoint relativement important aux cultures de jeeri.

  Ces privilèges fonciers ne seraient rien cependant sans la capacité de mobiliser une main-d’oeuvre extra-familiale, étant donné la faible productivité du travail agricole. Ces droits se sont maintenus durant la période coloniale, et certains même jusqu’à nos jours, mais  à l’heure actuelle leur portée économique est fortement diminuée par le non-ajustement du montant des redevances, le recul de exploitation une main-d’oeuvre servile et la marginalisation de la production agricole par rapport aux revenus de émigration. Cependant, pour la période étudiée ici, 1858- 1945, c’est une composante encore importante du paysage socio-économique, dont il faudra tenir compte pour aborder le problème du vécu différentiel des crises de subsistances selon les groupes sociaux.

   Tandis que le village constitue unité foncière de contrôle et de répartition des terres la production agricole organise dans le cadre de la famille étendue ka qui est unité économique et sociale de base unité de production de consommation et de résidence Ce terme désigne en semble des dépendants du chef de famille kagume) est-à-dire ses parents en ligne patrilineaire leurs épouses et leurs enfants et par extension la concession où vivent ces différentes personnes21 une période récente le ka comprenait aussi des esclaves certains habitant dans les concessions autres étant installés dans les quartiers esclaves komo kani) la périphérie du village22 Les mesures de administration coloniale contre esclavage se sont traduites par de nombreuses fuites de captifs au début du xxe siècle mais leur émancipation sur place fut beau coup plus lente. Elle est accélérée depuis les années 1960 et se concrétise notamment par leur indépendance fiscale leur propre ka gure sur les rôles impôt et ils en assurent eux-mêmes le paiement Elle accompagne une résidence séparée le plus souvent déjà acquise et de la dispari tion de leurs obligations en travail sans que cela implique pour autant la remise en cause de tous les liens de dépendance.

    C’est dans le cadre du ka que effectue le contrôle de aîné de la famille sur le travail des producteurs et sur le produit de leur travail Hommes et femmes cultivent des champs distincts selon une organisation différente Les hommes assurent la production des céréales sorgho petit mil et maïs et de quelques légumineuses haricots patates douées Ils sont placés sous autorité du kagume ses dépendants frères fils et neveux ainsi que les captifs travaillent cinq jours sur sept de 14 sur le champ collectif ou te xoore Après 14 ont lieu les travaux sur les champs individuels ou salluma les aînés bénéficiant leur tour de aide des plus jeunes exception du kagume qui continue travailler sur le te xoore Les femmes ne sont pas intégrées dans ces travaux sauf pour les semis et la récolte sur le te xoore Elles cultivent de arachide de l’indigo du riz flottant et des légumes sur des champs individuels que leur mari leur attribués avec aide de leurs filles encore célibataires. Elles cultivent surtout dans le jeeri et secondairement sur quelques champs de berge Les captifs ont joué un rôle important dans la production du coton et de arachide dans la seconde moitié du xixe siècle Mais ces cultures sont en recul au xxe siècle et celle de arachide est essentielle ment pratiquée par les femmes.

   Les récoltes sont conservées dans des greniers en banco une partie des grains étant mise de côté pour les semences au moment de la récolte Le produit du te xoore est destiné au grenier collectif géré par le kagume Tout homme qui se marie et qui devient père de famille construit son grenier où il place les récoltes de ses propres champs Cela lui permet exercer une influence plus grande dans la famille sans pour autant le dégager de ses obligations envers son père ses oncles paternels et le kagume Les jeunes célibataires remettent leur récolte leur mère Elle peut en donner des parents qui sont dans le besoin dans sa famille paternelle le plus souvent Les femmes mariées possèdent leurs propres réserves arachide et de mil Le mil provient donc des récoltes de leurs fils célibataires mais aussi des dons on leur faits en échange de aide elles ont apportée aux hommes pour la récolte du te xoore dans la famille de leur mari et dans leur famille paternelle.

   La consommation est organisée en fonction du système de production le groupe de redistribution kore correspond au ka il est constitué par le chef de famille et ses dépendants frères et fils épouses et enfants urs non mariées et captifs est intérieur de ce groupe est pré parée en commun la nourriture aîné en fournit la plus grande quantité avec la récolte du te xoore qui ne peut être vendue sauf cas de force majeure elle constitue la base de alimentation Les cadets peuvent vendre une part de leur récolte mais ceux qui sont encore céliba taires la remettent en grande partie ou intégralement leur mère tandis que ceux qui ont un grenier prennent en charge la nourriture de la famille un ou deux jours par semaine en fonction des aides ils ont re ues pour cultiver leur champ Les femmes disposent librement de leurs récoltes mais elles ne les vendent généralement une fois satisfaits les besoins de la famille En fait les contributions des différents membres du ka chef de famille cadets et femmes peuvent évoluer avec la pression fiscale les ventes forcées de mil en période de soudure ou de crise de subsistances organisation collective de la production et de la consommation est un autre mode adaptation au milieu côté de la constitution de greniers Elle permet atténuer les risques et les inégalités de production au niveau du groupe familial dans une région où la variabilité des conditions écologiques rend la satisfaction des besoins vivriers assez précaire. Elle permet également le départ un certain nombre actifs sans remettre en cause la continuité de la production agricole ni la nourriture des différents membres de la famille un homme marié émigré la famille étendue prend en charge son ménage mais il devra lui reverser une partie des gains réalisés extérieur est là un des ressorts du commerce et de rémigration dans la société soninke. Dans certaines limites cependant puisque dès les années 1920 administration coloniale déplore les conséquences négatives sur la production agricole du départ des jeunes les plus valides départs elle encourage par ailleurs pour faciliter le recouvre ment de impôt.

   Qu’en est-il de la satisfaction des besoins alimentaires dans cette région soninke époque coloniale. Le rapport entre production et consommation varie beaucoup dans le temps selon évolution des condi tions de production et dans espace social selon les capacités de produc tion de chaque famille après nos enquêtes lorsque les conditions sont favorables un homme adulte peut produire entre une tonne et une tonne et demie de mil par an Si on compte un kilo de mil comme ration jour nalière moyenne un producteur peut donc se nourrir lui-même ainsi que deux ou trois autres adultes Ces estimations du rapport entre production et consommation sont assez délicates elles seraient sans doute plus significatives si on les faisait au niveau du groupe familial en fonction de sa structure démographique nombre adultes/nombre enfants et de vieillards nombre hommes adultes/nombre de femmes adultes et de existence ou non une main-d uvre servile Néanmoins la couver ture des besoins alimentaires semble assez étroite autant plus que une période récente la plupart des hommes libres ne participaient pas aux travaux agricoles cf supra 26 Il faut tenir compte aussi dans ces estimations de inégal accès aux terres les plus riches et de la grande variabilité de la productivité individuelle Si à l’heure actuelle en pays soninké les réserves sont quasi inexistantes pour toutes les familles cause de la sécheresse et de rémigration de la main-d uvre27 ce nivellement sans doute pas toujours existé est ce qui apparaît dans nos enquêtes pour la première moitié du xxe siècle quand les condi tions étaient favorables les récoltes permettaient de se nourrir toute année et certaines grandes familles pouvaient de plus faire des réserves pour les deux années suivantes Il agissait le plus souvent de familles importantes la fois par leur nombre et par leur statut social La satisfaction des besoins était donc précaire pour toute une partie de la population quand survenait une mauvaise année On peut supposer que ces différences étaient quelque peu atténuées par les pratiques de redis tribution qui tout en mettant en jeu des rapports de pouvoir pouvaient assurer un certain équilibre vivrier au niveau du village Mais il devait avoir dans ensemble de faibles excédents de production carie Gajaaga jamais été un grand centre de commerce céréalier pendant la traite les Européens approvisionnaient plutôt au Puuta Tooro Ille devient pendant la seconde moitié du xixe siècle cause des ventes forcées de mil pour le paiement de impôt avant que ne se développent de nouvelles sources de revenus avec rémigration La précarité de équilibre vivrier de cette région durant la période coloniale apparaît nettement dans la grande fréquence des crises de subsistances

Rythmes agricoles et crises de subsistances
1. Chronique des années agricoles et des crises de subsistances
a/ sources

L’ensemble de ce travail procède de la confrontation des sources écrites et des sources orales Dans les sources écrites la société soninké apparaît le plus souvent au travers des préoccupations administratives et commerciales. Au niveau des sources orales on se heurte au risque aplatissement historique des témoignages et au rôle idéologique des traditions Néanmoins en combinant sources écrites et sources orales on peut faire en sorte que leur éclairage différent de la réalité devienne complémentaire.

   L’analyse des crises de subsistances et travers elles de évolution économique et sociale de la région du Goy suppose que on dresse tout abord une chronologie de ces crises Les sources orales sont indispensables pour étudier organisation économique et sociale soninké les stratégies de survie et les comportements sociaux en temps de pénurie pour apprécier importance du problème de la famine dans la culture et les mentalités à travers (les prénoms les contes et les proverbes… ). Mais il serait difficile établir une chronologie précise des crises partir des enquêtes rétrospectives. Il est relativement aisé de dater les crises grâce certains indices nom donné la famine nom du chef de village ou du chef de canton événement marquant distribution de vivres guerre mondiale… Mais certains témoignages résistent toute datation Il est par ailleurs très difficile de connaître la durée de ces différentes crises les appréciations des informateurs renvoient un vécu personnel et ne concordent pas toujours entre elles Ennn ces enquêtes ne nous permettent pas de remonter au-delà des années 1880 et ne couvrent donc pas toute la période étudiée.

    Il existe bien des traditions familiales où il est question de famine et qui font référence un passé lointain mais on ne peut pas les mettre sur le même plan que les témoignages et traiter ces données de la même manière Il faudrait étudier spécifiquement le rôle idéologique des famines dans les récits formalisés Souvent la famine sert masquer des faits jugés dégradants pour la famille ou la communauté politique Même si une famine bien eu lieu elle pas toujours joué le rôle déterminant on lui prête ou du moins pas été la cause unique un événement donné comme la tradition tend le faire croire. La charge idéologique de ce thème ouvre des perspectives de recherches sur le plan social et politique mais elle incite la prudence quant analyse des crises de subsistances proprement dites partir des traditions orales est pourquoi élabora tion une chronologie des crises repose en grande partie sur les sources écrites les sources orales intervenant qu’à titre de complémen.

A partir des sources écrites, j’ai retenu comme crises de subsistances celles qui sont signalées explicitement dans les termes de pénurie de disette ou de famine et celles qui apparaissent travers une demande exonération impôts pour manque de ressources formulée par la population ou plus rarement par le commandant de cercle Parmi la grande diversité des sources écrites. ce sont les rapports périodiques qui ont servi de base ce repérage des crises de subsistances car ils rendent compte mois par mois ou trimestre par trimestre du déroulement de année Ces sources ont toutefois leurs limites Il manque des rapports pour le début de la période coloniale et certains de ceux qui sont disponibles sont incomplets Des sources plus ponctuelles récits de voyage ou monographies permettent parfois de combler ces lacunes comme par exemple ouvrage de Mage 1868 pour les années 1860 Des rapports donnent des renseignements contradictoires et les recoupements avec autres sources ne permettent pas toujours de trancher. Pour quelques années ils mentionnent des mauvaises récoltes mais pas de crises de subsistances Certaines de ces années nous ont été présentées comme des années de crise par nos informateurs nous les avons donc fait apparaître dans la chronologie des crises sans pouvoir en indiquer la durée Pour les autres on peut supposer que la conjonction mauvaises récoltes/absence de crise de subsistances renvoie existence de réserves Il faut noter également le fait que les rapports ne signalent généralement les crises leur paroxysme et leur suite je risque en avoir sous-estime la durée Par ailleurs cause des lacunes de certains entre eux il des crises qui ne sont signalées posteriori sans que leur durée soit indiquée

b/méthodologie

Nos principales sources rapports de cercle mensuels trimestriels ou annuels sont toutes organisées en fonction de année civile ai transposé ces informations selon le rythme des années agricoles pour que la raison graphique selon expression de Goody 1979) soit la plus fidèle possible au vécu paysan et la logique propre de cette société est en fonction de année agricole en effet que se situent une part les pra tiques culturales et par conséquent les périodes de soudure et de récolte et autre part les activités extra-agricoles comme le commerce les migrations saisonnières et avant la colonisation les expéditions guerrières.

     Comme nous l’avons indiqué plus haut cette région se caractérise par existence une double culture de jeen et de waalo Le début et la fin une saison culturale varient une année autre en fonction des conditions écologiques début et répartition des pluies rythme de la décrue… et de certains facteurs socio-économiques comme la disponibilité en force de travail Mais une manière générale année agricole commence en mai et achève en avril Les Soninké font un découpage de année en saisons qui renvoie aux différences climatiques et aux rythmes des travaux agricoles hivernage xaaxo dure de mai fin octobre-début novembre il commence avant les premières pluies avec la sous-saison kandara de mai début juillet Elle se caractérise par des températures très élevées et correspond la préparation des champs de jeen hivernage se poursuit avec les sous-saisons juxa en juillet-août période du maximum des pluies et kawule de septembre début novembre moment des premières récoltes La saison fraîche mulle dure de novembre fin février elle est marquée par la fin des récoltes de jeen les cultures de waalo la pêche et la chasse Vient enfin la saison chaude kiineye) en mars-avril est pendant ces deux dernières saisons ont lieu les fêtes les mariages certaines activités comme le tissage la tein ture la construction et la réfection des maisons ainsi que les départs de certains actifs la recherche de ressources complémentaires.

   Récoltes et soudures32 font alterner dans année agricole périodes de pénurie et périodes abondance cf Fig La soudure principale se situe avant les récoltes du jeeri qui représentent la part la plus importante de la production Elle dure environ deux mois pendant la sous-saison juxa période du maximum des pluies et des gros travaux agricoles Une soudure secondaire peut avoir lieu certaines années avant la récolte de waalo Si celle-ci est abondante elle peut faire disparaître état de pénurie la prochaine récolte de jeeri ou du moins limiter la durée de la soudure principale La durée plus ou moins longue de la soudure renvoie aux années agricoles antérieures et au déroulement de année en cours Elle est fonction un certain nombre de facteurs socio-économiques état des précédentes récoltes constitution de réserves prélèvements en espèces ou en nature disponibilité en force de travail… et écologiques (quantité et répartition des pluies intensité de la crue) et rythme de la décrue… que nous analyserons ultérieurement.

   Pour étudier les crises de subsistances les conditions de leur apparition leur déroulement et leurs conséquences il faut aussi prendre en considé ration les données relatives au commerce En effet Bakel reste un lieu de traite la période coloniale même il perdu importance il avait au xvnie et au xix siècle la fin des années 1870 comme principale escale du fleuve Les ventes de mil par les producteurs destinées au paie ment de impôt et les spéculations des traitants sur les produits vriers sont parmi autres des facteurs de déclenchement ou aggravation des crises de subsistances En temps de crise les Soninke ont recours différentes formes de commerce et échanges Bakel même ou dans autres régions avec des maisons de commerce ou avec autres popula tions agricoles et se procurent du mil contre des pagnes de or et du bétail. Ils peuvent aussi emprunter du riz ou du mil aux traitants ou encore travailler pour eux en échange de vivres34 Les rythmes activité de escale de Bakel et des comptoirs villageois ne sont donc pas indiffé rents étude des crises de subsistances.

   Les données commerciales obéissent un calendrier différent de année civile celui de la campagne de traite Celle-ci est pas strictement déli mitée mais varie selon les années En fonction de état des récoltes du rythme de la crue et de la décrue est-à-dire des possibilités accès la région du haut fleuve elle peut commencer en décembre ou en janvier et achever en août ou en septembre avec une interruption de deux quatre mois exploitation des rapports administratifs suppose donc que on transpose les données un calendrier autre cf Fig Mais il agit étudier les crises de subsistances et que est sur la base de la production agricole que organisent économie et la société soninke dans leurs structures et dans leur rythme activité est année agricole qui constituera le cadre temporel de référence c’est cette unité analyse

que nous rapporterons ensemble des données il agisse de état des récoltes de mouvements commerciaux de mesures politiques ou de facteurs écologiques La précision des rapports périodiques permet dans ensemble de le faire de manière satisfaisante Cependant ce découpage du temps en années agricoles tout en étant le plus fidèle possible objet étudié répond une nécessité de analyse et de la représentation graphique cf Fig Aussi ne faut-il pas perdre de vue la continuité des phénomènes et les répercussions ils ont une année sur l’autre.

2. Disettes et famines
a/problèmes de définition un critère intensité des crises

Après l’établissement une chronologie des crises de subsistances une première typologie été élaborée afin apprécier leur impact sur la société Quels critères de gravité retenir Les termes de disette et de famine utilisés dans les sources écrites et les expressions soninke dulle siine année de la faim et dullu xoore siine année de la grande faim expriment différents degrés intensité des crises. Mais ils ne peuvent servir de base élaboration une typologie car les uns renvoient des préoccupations administratives marquées le plus souvent par la tendance minimiser la crise pour donner une image prospère du cercle et les autres expriment des points de vue subjectifs partir desquels il est difficile de généraliser.

  Un certain nombre de problèmes se posent au niveau des enquêtes rétrospectives mis part le fait déjà signalé elles ne nous permettent pas de remonter au-delà de la fin des années 1880. Nos informateurs pris dans leur ensemble se souviennent ou bien ont entendu parler de toutes les crises repérées dans les archives partir de année 1886-87. Certaines crises plus graves que les autres ont re une appellation particulière la crise de 1913-14 1914-15 ou Baani dulle du nom du bateau qui apporté des secours celle de 1926-27 1927-28 ou boorsuttu siine car le mil séché alors que épi était pas plus gros que la queue un pigeon boorsuttu) ou encore celle du début des années 1930 ou buure sauterelle qui fut notamment provoquée par des invasions acridiennes. Certaines crises se dégagent donc nettement et permettent une première différen ciation mais autres sont difficiles resituer précisément comme celle de jongoone du nom un produit de cueillette qui duré dix ans avant la famine de Baani. On ne peut donc pas retenir ce critère il ne permet pas un traitement homogène des données.

D’un autre côté, mis part quelques grandes crises présentées partout en des termes semblables ce qui ressort de ensemble des témoignages est leur grande diversité Celle-ci renvoie la mobilité des informateurs en effet rémigration masculine ayant touché cette région dès la fin du xix siècle il est extrêmement rare de trouver un qui ait passé toute sa vie au pays ce qui rend malaisée la comparaison entre les crises Il faudrait se tourner plutôt vers les femmes mais elles sont souvent plus réticentes De plus elles ont généralement des repères chronologiques différents de ceux des hommes et plus délicats exploiter parce ils renvoient surtout un vécu familial et villageois. Cela demanderait un travail plus approfondi au niveau des généalogies notamment La variété des témoignages traduit aussi des différences régionales dans extension spatiale des crises et des différences sociales en fonction des ressources de chaque famille. Les données orales intéressantes pour une approche globale du phénomène se prêtent donc mal élaboration une typologie dans la mesure où elles ne permettent pas affecter un indice de gravité ensemble des crises est pourquoi nous avons privilégié les sources écrites pour disposer de données plus homogènes et plus quantifables.

   Avec les archives, autres problèmes se posent néanmoins. Pour Europe classique des xvii et xvi siècles les historiens retiennent généralement comme critères de détection des crises de subsistances la corrélation entre une hausse des prix du blé et un accroissement de la mortalité amplitude de ces mouvements leur permet aussi de mesurer la gravité de la crise. Pareille démarche est pas transposable en histoire africaine même pour la période coloniale surtout dans le cadre une zone rurale. On trouve bien sûr des renseignements sur la population et sur les prix des céréales mais on ne peut pas constituer des séries et faire une analyse systématique et continue sur la longue durée.

    Les données démographiques sont trop ponctuelles et trop peu fiables pour on puisse étudier partir elles évolution de la mortalité en cas de crise de subsistances et encore moins impact une crise sur les structures de la population par âge par sexe et par catégorie sociale cause de leur lien direct avec la fiscalité les chiffres de population sont prendre avec beaucoup de réserve. On peut supposer néanmoins ils ne reflètent pas simplement les difficultés et les progrès des dénombre ments administratifs mais aussi dans une certaine mesure les fluctua tions démographiques. Il semble en effet il ait une corrélation même grossière entre les crises démographiques et les crises de subsis tances les plus graves selon la typologie exposée plus loin Mais en aucun cas les données démographiques auraient pu servir de point de départ dans analyse de intensité des crises

    Une approche de la gravité des crises de subsistances par étude des prix du mil est pas non plus satisfaisante Les informations sur le commerce du mil sont assez abondantes dans les rapports administratifs du xixe siècle mais se rarénent dans ceux du xxe siècle En effet ce commerce est important Bakel et dans les villages soninke pendant la seconde moitié du xixe siècle impôt est payé en mil ou en pièces de gui ee que la population se procure auprès des traitants contre du mil ce qui alimente un courant exportation vers Saint-Louis et le pays maure En 1889 impôt est monétarisé38 et progressivement le commerce des pagnes et émigration se substituent au commerce du mil comme sources de numéraire Le marché du mil devient donc marginal au xxe siècle ce qui explique appauvrissement des données pour cette période Les échanges locaux se maintiennent souvent sous forme de troc mais on ne peut guère les saisir travers les sources écrites Il est donc pas possible établir de longues séries de prix Il est de surcroît difficile de réunir des données homogènes pour le xixe siècle Les mesures de capacité sont en effet très variables le muude39 qui sert aux échanges de céréales est originaire Afrique du Nord et été introduit au Soudan dans le cadre du commerce transsaharien Le cône de bois dont il est fait peut contenir de 25 kg selon les villages et selon les transactions Il existe des mesures de référence dans chaque village mais elles peuvent varier sensiblement entre elles Il agit du debi gume muude muude du chef de village et du minna muude muude de la soif le premier sert en particulier au paiement des taxes et parfois aux échanges le second est réservé aux aumônes notamment celles de la du Ramadan De plus chaque kagume possède son propre muude qui est pas précisément étalonné sur celui du chef de village Quant aux traitants ils ont un muude de capacité différente selon ils achètent ou ils vendent du mil le premier ayant une contenance supérieure40 administration coloniale essayé uniformiser ces mesures mais sans grand succès De plus il existe plusieurs manières utiliser le muude en général on remplit la mesure de grains et on forme un cône est le muude proprement dit ou muude xensa Mais en temps de famine on se contente le plus souvent de remplir le muude ras bord est le muude bemba.

     Par ailleurs on ne peut comparer les prix du mil pour des années différentes que ils correspondent des moments identiques de année agricole cause de importance des fluctuations saisonnières. Entre le mois de décembre après la récolte de jeeri et le mois août période de soudure le prix du mil peut être multiplié par deux par trois ou même davantage. Ces différences qui renvoient en premier lieu la raréfaction des céréales certains moments de année traduisent surtout les spé culations des traitants sur la vente forcée du mil Les prix fluctuent aussi selon les lieux entre les escales et les comptoirs par exemple Bakel en 1883 on peut échanger une pièce de gui ee contre peine 20 muudu de mil tandis que vers Maxanna au Kammera on peut échanger contre 30 muudu Toutes ces variations font on ne peut pas mener une étude des prix du mil comparable celle que font les historiens de Europe pour les prix du blé Ces données constituent néanmoins des renseigne ments précieux sur les crises de subsistances en particulier sur le rôle du commerce en temps de pénurie

b/durée mensuelle et gravité des crises, essai de typologie

Face insuffisance des données statistiques le seul critère qui nous soit apparu opératoire est celui de la durée mensuelle des crises de subsis tances est une donnée présente dans les sources écrites tout au long de la période étudiée on peut exprimer en chiffres en nombre de mois de crise et en établir une série homogène et continue Plus fondamentale ment est une donnée travers laquelle peut se mesurer intensité une crise et qui se prête élaboration une typologie.

    Que signifie la durée une crise sur le plan du fonctionnement du système de production Elle résulte en amont un manque de réserves qui renvoie lui-même des mauvaises récoltes antérieures ou des pré lèvements sur la production Les premières peuvent être dues des condi tions écologiques défavorables une insuffisance de main-d uvre emigration travaux forcés recrutement militaire ou encore des per turbations politiques. Les seconds proviennent du paiement de impôt et des redevances des réquisitions en nature La durée de la crise résulte en aval du problème de la reprise le moment de sa résorption avec la venue des nouvelles récoltes dépend des conditions écologiques mais aussi des conséquences de la crise elle-même est-à-dire des disponibilités en semences et en force de travail. Ce sont là les problèmes essentiels de la reprise le plus souvent les semences ont été consommées et la main- uvre fait défaut pendant les travaux agricoles les hommes valides étant partis la recherche de nourriture et la population restée sur place étant affaiblie par la famine Plus la crise est longue plus ce problème se pose avec acuité et plus la reprise est difficile La durée de la crise apparaît donc comme la résultante de facteurs complexes que je ai fait évoquer rapidement ici.

    La durée renvoie aussi extension spatiale de la crise Un de nos informateurs de Bakel distinguait ainsi une année difficile une année de crise proprement dite entre la famine de 1914 et celle de 1927 il eu des sécheresses mais pas vraiment de famine car on pouvait trouver du mil chez les voisins La famine est quand on en trouve même pas acheter une crise peu étendue spatialement peut être en effet rapi dement résorbée par des échanges entre villages et entre régions voisines en occurrence pour le Goy avec le Damga et le Bundu Mais encore faut-il que ces échanges soient politiquement et économiquement possibles il ait pas de conflit avec ces régions et que celles-ci soient en mesure échanger des surplus de production Même en absence de pénurie au Bundu et au Damga ces régions ne sont pas toujours en état de le faire pendant la colonisation Les populations du Bundu vendent du mil aux traitants de Bakel pour se procurer argent de impôt. Le Fuuta quant lui joue le rôle de grenier mil pour la zone arachidière du Sénégal avant importation du riz Indochine au début du xxe siècle et ne peut donc plus écouler ses surplus dans les régions voisines est là un des multiples aspects des répercussions de agri culture de rente sur équilibre vivrier des régions périphériques.

     La durée d’une crise permet aussi en apprécier la gravité car les comportements sociaux et les stratégies de survie évoluent au fur et mesure que la crise se prolonge Lorsque celle-ci apparaît il est rare que toutes les familles un village aient épuisé leurs réserves en même temps ayant pas toutes les mêmes capacités accumulation un surplus agricole entraide est donc possible au début que ce soit sous forme de dons ou avances de mil Mais avec approfondissement de la crise les différences sociales estompent Les populations doivent sortir du village 45 selon expression consacrée pour aller chercher des ressources ailleurs Les femmes vont ramasser des plantes sauvages en brousse les hommes partent en quête de mil Ils en procurent en échangeant des pagnes de or du bétail réunis grâce entraide des différents membres du ka ou bien en vendant leur force de travail dans les escales et dans les villes Plus la crise dure plus élargit aire de survie où les hommes cherchent des solutions de rechange de environnement immédiat on passe aux régions voisines Bundu et Damga des régions plus lointaines zone arachidière et villes du Sénégal autres colonies Afrique. Par fois des familles entières émigrent Pour les populations restées au village les problèmes de survie provoquent souvent une dégradation des compor tement sociaux un relâchement des rapports autorité et éclatement de conflits latents au sein de la famille la remise en cause de certains privilèges. La durée une crise est donc significative de différents points de vue c’est pourquoi nous avons retenue comme critère de gravité.

   La durée mensuelle des différentes crises apparaît déjà la Figure qui replace chaque crise dans année agricole mais ne permet pas de comparer aisément leur durée respective Pour ce faire ai choisi un autre mode de représentation pour élaborer le graphique de la durée mensuelle des crises de subsistances Fig année agricole reste toujours la référence mais elle est ramenée une unité de temps et est plus figurée dans son déroulement De ce fait ce est plus inscription précise de la crise dans année agricole qui apparaît mais seulement sa durée mensuelle. Cette représentation efface les temps de récupération entre des crises successives mais permet en revanche appréhender plus rapidement la durée de chaque crise

    L’élaboration d’une typologie des crises, en fonction de leur durée et de leur intensité me conduit définir des seuils de gravité Les crises de subsistances relevées tout au long de la période étudiée couvrent des périodes de un seize mois Dans la présentation du système de production agricole nous avons vu que la soudure principale lieu lors de hivernage pendant la sous-saison juxa et dure environ deux mois Si la pénurie se prolonge on peut considérer il ne agit plus de soudure proprement parler mais plutôt de famine autre extrême se détachent les longues crises qui étendent sur deux années agricoles pendant neuf mois et plus est pourquoi nous avons retenu comme types de crise les disettes ou soudures difficiles un ou deux mois les famines de trois huit mois et les grandes famines plus de huit mois et affectant deux années agricoles En fonction de cette typologie nous avons réalisé un graphique des disettes et des famines Fig qui permet un repérage rapide des crises tout au long de la période étudiée et une appréciation de leur gravité en fonction de leur durée.

  Apparaissent clairement la grande fréquence des crises de subsis tances et leurs rythmes On relève 45 années de crise sur 88 ans selon les sources écrites soit environ 50 53 années de crise selon les sources écrites et les sources orales soit environ 60 Dans ensemble des crises repérées partir des sources écrites on note 12 années de disette soit environ 26 21 années de famine soit environ 46 io années de grande famine soit environ 22 Une première grande famine survient en 1867-68 1868-69 quelques années après la conquête de Bakel et du Goy supérieur Quatre grandes crises sévissent du début du XXe siècle la Seconde Guerre mondiale 1905-06 1906-07 1913-14 1914-15 1926-27 1927-28 1944-45 1945-46 Seule la crise de 1926-27 est isolée dans une série de bonnes années les autres grandes crises sont précédées années de disette ou de famine Cette succession de mauvaises années apparaît fréquemment sur ensemble des cinquante-trois crises répertoriées travers les sources écrites et les sources orales six crises seulement ont affecté une seule année agricole Ce qui se dessine au contraire ce sont des séquences de bonnes et de mauvaises années

c/séquences de crises et problèmes de périodisation

A l’ “année de la faim” dulle siine oppose année de la bonne récolte anjan Hye siine Les Soninke emploient ces expressions au plurielle plus souvent dullu siinu et anjan iyu siinu car selon nos informateurs une bonne ou une mauvaise année vient rarement seule. Ces constatations vont dans le sens des trains années de crise que la Figure met en évidence Cette notion de séquence se dégage de la chronologie des crises mais aussi de analyse de chacune entre elles.

   En effet pour mettre au jour les différents paramètres qui déterminent le déclenchement une crise son déroulement et sa résorption et pour apprécier ses conséquences long terme il faut faire référence aux années bonnes ou mauvaises qui précèdent et qui suivent année de crise pro prement dite Comme on déjà vu plus haut les facteurs de production conditions écologiques force de travail semences… et organisation de la consommation au niveau de la famille étendue et avec la constitution de réserves ont des répercussions une année sur autre et renvoient par conséquent une temporalité pluri-annuelle. Cela nous amène reconsidérer le fonctionnement du système de production en le resituant dans un cadre plus large que celui de année agricole variable selon la succession des périodes abondance et de pénurie les séquences de bonnes et de mauvaises années.

   Ainsi on ne peut rendre compte des problèmes que pose la mise en culture par rapport aux conditions écologiques et la force de travail si on limite analyse une seule année agricole Pour les cultures de décrue la superf cie cultivée en uiaalo et le déroulement de la campagne agricole dépendent dans une large mesure des conditions écologiques de année en cours superf cie inondée début et rythme de la décrue préda teurs et parasites vents est… car la majorité des travaux agricoles ont lieu après la décrue Cependant les conditions écologiques des années précédentes ne sont pas indifférentes est ainsi que la succession années sèches et une bonne crue présente avantage de limiter le développe ment des plantes adventices et par conséquent les travaux de désherbage Lericollais 1980 Pour les cultures sous pluie les champs ae ceri étant préparés pour les semis avant hivernage le choix des terres mises en culture renvoie aux conditions écologiques de année ou des années antérieures Si par exemple un bon hivernage succède une série années sèches les producteurs cultivent encore de préférence des sols qui retiennent bien humidité terres laissées en jachère et terres de bas- fonds ces dernières risquant alors être inondées par une forte crue48 Il donc une certaine prégnance des conditions écologiques antérieures sur les comportements des producteurs et ce est que lors du second bon hivernage ils pourront tirer pleinement parti des conditions redevenues faorables

 

   En fait adaptation aux conditions écologiques renvoie un autre facteur celui de la force de travail Ce est avec un grand nombre de cultivateurs que le kagume peut mettre en uvre certaines stratégies limitant les risques de mauvaises récoltes la diversification des espèces et des variétés cultivées plus ou moins hâtives plus ou moins résis tantes la sécheresse) la mise en culture de terroirs différents par leurs sols et leur localisation) organisation du travail en unités plus ou moins éclatées49. La mobilisation un grand nombre de producteurs est éga lement nécessaire pour pouvoir recommencer les semis détruits par une inondation ou par la sécheresse et faire face aux deux goulots étran glement du calendrier agricole Il agit une part du sarclage du mil et du mais en juillet-août et autre part des récoltes de jeeri et des semis de waalo en octobre-novembre qui coïncident le plus souvent cause de la décrue précoce dans la haute vallée Comme on déjà vu ce pro blème de main-d uvre se pose avec acuité pendant les crises de subsis tances avec le départ des hommes valides la recherche de vivres et le mauvais état sanitaire de la population restée au village Cela retarde la reprise et provoque une certaine autonomisation de la crise qui se réengendre elle-même après la disparition des facteurs qui ont provoqué son déclenchement De même les emprunts de mil aux traitants ou administration par intermédiaire des sociétés de prévoyance grèvent les futures récoltes et participent de la même dynamique de crise Les départs des hommes en temps de famine se transforment souvent en emigration de longue durée et provoquent une baisse de la production agricole pendant les années suivantes.

    Par exemple la crise de 1926-27 1927-28 apparaît en juin 1926 alors que les récoltes de année 1925-26 ont été assez satisfaisantes cf Fig. Elles ont pas suffi cependant assurer la soudure aux récoltes de jeeri octobre-novembre 1926 Celles-ci étant très mauvaises cause un hivernage très sec la situation vivrière ne se rétablit en sep tembre 1927 après quinze mois de crise Comment expliquer apparition de cette crise dès juin 1926 alors que les années précédentes de 1921-22 1925-26 ont été bonnes dans ensemble cf Fig. En fait durant cette séquence de bonnes années les rapports administratifs ne cessent de souligner insuffisance de la mise en culture de la région due émi- gration cela ajoutent les perturbations des travaux agricoles provo quées par les travaux forcés. Les bonnes récoltes du début des années 1920 assurent donc tout juste la couverture des besoins alimen taires et ne permettent pas la constitution de réserves du fait du rapport déséquilibré entre productifs et improductifs Aussi, dès qu’ une année

est un peu moins bonne comme en 1925-26 une crise de subsistances se produit absence de lien de causalité simple entre état des récoltes et les crises de subsistances va donc aussi dans le sens une analyse séquentielle des crises.

    On voit, après la Figure que on peut délimiter les séquences de bonnes et de mauvaises années qui rythment la période coloniale tant donné les problèmes que pose la reprise on considérera une seule bonne année encadrée années de disette et de famine interrompt pas une séquence années de crises et il faut au minimum deux bonnes années successives pour pouvoir parler du retour une certaine norma lité est ainsi que je regroupe les années 1858-59 1863-64 dans une même séquence de crises malgré la présence une bonne année en 1861- 62. En revanche je ne tiens pas compte de année 1937-38 qui apparaît comme une année de crise seulement travers les sources orales dans la série des bonnes années 1934-35 1939-40 Trois périodes se dégagent.

–  de 1858-59 à 1896-97:  période caractérisée par la grande fréquence des séquences de crises interrompues par de brèves séquences de bonnes années Parmi ces crises on relève une grande famine en 1867-68 / 1868-69;

–  de 1897-98à 1914-95:  une seule séquence de crises, couvrant dix- huit années et comprenant deux grandes famines en 1905-1906 1906-1907 et en 1913-14 1914-15;

–  de 1995-96 à 1945-46:  une période où apparaissent des séquences de bonnes années plus longues que les précédentes mais où sévissent deux grandes famines en 1926-27 1927-28 et en 1944-45 1945-46.

Un certain nombre de questions se posent au sujet de cette tentative de périodisation par exemple le contraste entre la première et la troisième période une se caractérise par la grande fréquence des crises de durée moyenne exception une grande famine alors que autre est marquée par de grandes crises avec dans intervalle des périodes de récupération plus longues .La seconde période qui constitue une seule séquence de crises coïncide avec la mise en place effective des structures coloniales dans la haute vallée comme dans ensemble du Sénégal Cette aggravation du déséquilibre vivrier au début de la période coloniale été mise en évidence dans autres régions Afrique Dias 1981).

   Mais les périodes proposées ici ne le sont titre hypothèses de recherche car une périodisation fondée seulement sur le rythme des séquences de bonnes et de mauvaises années aurait pas beaucoup de sens La question est de savoir quoi renvoie ce rythme dans histoire coloniale de cette région et du Sénégal et si les ruptures suggérées par les séquences de crises correspondent des changements importants dans la vie économique et sociale de la population Pour répondre une autre démarche est nécessaire qui dépasse approche sérielle des crises de subsistances et qui en fasse une analyse globale et thématique On peut tenter en effet de périodiser les changements économiques et sociaux en Page

 

 

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